Tout ce que je vis a déjà été vécu. Un os cassé, une main sur l’épaule, un air enjoué ou la mort qui me frôle ; tout cela a été vécu par d’autres, plus loin dans l’espace, plus tôt dans le temps.
Je vois, il y a dix mille ans, cet homme se transpercer le majeur d’une aiguille en arête ou d’une pointe en silex, comme moi ce matin, exactement au même endroit. Je sais sa douleur, j’entends son hoquet rageur, je sens mon pouls dans sa main.
J’entends là-bas, dans un bidon-ville, un battement de cœur s’emballer de terreur au bruit, aussi soudain qu’étrange, d’un carton raclé ; comme moi hier dans mon grenier, un pied sur l’escabeau, la tête dans la suie, à en mourir sursauté.
Si l’archétype d’un événement existe, comme une forme d’onde cohérente : il se manifeste dans notre espace temps jadis là-bas, demain par ici, et maintenant au loin.
Héraclite avait raison, l’entropie fait à chaque granule de temps un univers neuf, unique et irrémédiable. Mais les ondes ne sont pas forcément matière et il se pourrait bien qu’à son tour Parménide ait raison aussi, sinon comment pourrais-je être persuadé que ça vaut le coût de deviner demain en comprenant hier ?
Je pense : Si le temps ne vient effectivement que de nous, alors, il n’y a que pour nous que c’est différent la première fois ?